LA VISION D'UNE AX 1993
L’ancien copilote de rallye a bien entendu le droit de penser ce qu’il veut ! Mais en relisant sa biographie, on peut aussi comprendre pourquoi il tient un tel langage. Peugeot et Ferrari, les deux marques pour lesquelles il a été directeur d'écuries de sport automobile, illustrent parfaitement ce courant qui veut que la voiture électrique ne soit rien et qu’elle n’ait pas d’avenir. Dans sa réponse de quelques lignes, Jean Todt semble finalement ne pas maîtriser le sujet. Pourquoi s’exprimer si affirmativement dessus, alors que quelques industriels visionnaires savourent déjà un choix qui paraît tomber sous le sens en pensant à demain.
Quelle vision de la voiture électrique Jean Todt peut-il avoir ? Lorsqu’il a quitté PSA, en 1993, Citroën présentait discrètement l’AX électrique. Peut-être le président de la FIA a-t-il gardé des véhicules branchés l’image d’engins lourds à lancer et avec une autonomie de seulement 100 km environ.
PAUSE PIPI
A 68 ans, quoi qu'il en dise, et à moins qu’il envisage sa disparition toute prochaine, le président Todt pourrait bien au contraire assister au lancement d’une voiture électrique capable de faire Paris-Nice sans recharge, soit environ 900 kilomètres. Qu'importe, finalement ! L’exemple qu’il a choisi est des plus arbitraires, d’autant plus que toutes les voitures thermiques ne sont pas capables de réaliser cette distance d’une traite. Ainsi une Fiat Panda 1,2 l de 2014 à essence parviendra avec peine à atteindre 600 km, de même qu’une Ferrari 458 Italia 4,5 l V8 de l’année.
Qui d’ailleurs oserait prétendre que c’est une bonne chose de réaliser 9 heures de route, selon le temps estimé par ViaMichelin pour effectuer au plus vite le trajet Paris-Nice en respectant les limitations de vitesse ? D’ailleurs, la nature aura bien l’occasion de rappeler à l’ordre les inconscients qui, à moins d’exploiter une astuce de chauffeurs de poids lourds avec une bouteille en plastique, devront bien faire une ou plusieurs petites pauses pipi, mais aussi pour prendre un café, fumer une cigarette ou passer quelques appels téléphoniques.
AVEU D'IGNORANCE
De fait, prendre comme référence une distance de 900 kilomètres est plutôt absurde et sans intérêt. En revanche, imaginer qu’un automobiliste puisse sur la journée, en respectant la loi et en toute sécurité, effectuer la même distance avec un véhicule électrique qu’avec son équivalent thermique : voilà qui a du sens. Et c’est déjà le cas avec une Tesla Model S qui peut bien assurer Paris à Nice dans la journée, moyennant 2 ravitaillements le temps de pauses rendues également impératives pour le chauffeur. Mardi dernier, 20 mai 2014, j’effectuais ainsi moi-même 800 km en passager d’une telle voiture, pour rejoindre le eTourEurope, depuis la Bretagne, dans son étape à l’usine Renault de Flins-sur-Seine (78).
Dans sa réponse, Jean Todt prouve, soit son manque d’intérêt, soit son ignorance pour le sujet, et plus vraisemblablement les 2, en affirmant que recharger une voiture électrique prend des heures. Les bornes CHAdeMO, les superchargers, les installations rapides pour la gamme ZE du losange permettent de faire le plein des batteries des Nissan Leaf, Peugeot iOn, Tesla Model S, Renault Zoé en 1 heure environ, soit le temps de déjeuner, de visiter les sanitaires du restaurant, et même pas le temps de se dégourdir les jambes.
Non, décidément, cette réponse d’une personnalité impliquée fortement dans le monde automobile et sportif n’est pas sérieuse, et encore moins crédible !
ECLAIR À HYDROGÈNE
Autre aveu d’ignorance : évoquer la piste hydrogène comme plus probable que celle de la voiture électrique. C’est un peu dire qu’on préfère un éclair au chocolat à une pâtisserie. Le véhicule qui exploite une pile à combustible, architecture la plus probable pour rouler à l’hydrogène, est une voiture électrique. D’un genre particulier, certes, mais une vraie voiture électrique, avec le ou les mêmes moteurs électriques !
Enfin, torpiller sur la place publique la Formule E alors qu’on dirige la fédération à laquelle elle se rattache, n’est-ce pas un peu tronçonner avec un V8 sans échappement une branche qui pourrait pérenniser l’organisme de plus en plus pris pour cible par ceux qui envisagent l’avenir autrement qu’à la gloire de l’automobile.
RATTRAPER LE TEMPS PERDU
En empruntant à Marty la DeLorean de Doc, revenons au début du XXe siècle, juste au moment où la compétition a promu la voiture à pétrole devant les autres technologies, parce qu’elle était la seule à permettre d’enchaîner des centaines de kilomètres sans s’arrêter, répondant ainsi à un besoin qui n’existait alors pas vraiment. Imaginons que finalement l’industrie ait choisi la propulsion électrique. Aujourd’hui, en 2014, nous roulerions pratiquement tous avec des véhicules survoltés très certainement plus performants.
Qui alors oserait dire qu’il croit en la voiture thermique qui produit des polluants et CO2 par son fonctionnement, fait du bruit en impactant la santé et le sommeil de nombreux habitants des villes, oblige à faire un détour de plusieurs kilomètres pour faire le plein, coûte cher à l’entretien et ne permet pas d’envisager devenir un élément majeur des réseaux d’énergie intelligents ? Qui ? Aujourd’hui, il ne s’agit pas de critiquer la voiture électrique, mais bien de lui faire rattraper le temps perdu !
CARICATURE
Cette réponse de Jean Todt au JDD du 25 mai 2014 est finalement caricaturale, de celles qui ne seront plus prises au sérieux d’ici quelques années. Car si les ventes des voitures électriques ont du mal à décoller, ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas au point, mais bien parce qu’elles sont encore trop chères pour les ménages, que leur autonomie paraît encore un peu chiche, et que les infrastructures de recharge commencent tout juste à assurer un maillage minimum mais avec beaucoup de flou autour de ce que son usage coûtera à l’électromobilien !
Qui, parmi les propriétaires de Model S, pour amener Monsieur Todt à Nice en Tesla, avec, à ses côtés, Coqueline Courrège, la créatrice de la Zooop ?