Voilà une critique intéressante de l'inertie des organismes et politiques... Mais pour le découplage, je crois que l'analyse de l'auteur de cet article est expéditive.Allons droit au but : aucune sortie par le haut ne viendra d’en haut. Pour l’instant ça se joue au niveau territorial : seuls les citoyens, les élus locaux, les patrons de PME, les réseaux citoyens et associatifs, les artistes et communicants, les investisseurs aussi, ont le pouvoir de faire évoluer les choses à l’échelle locale sans attendre vainement que ça vienne du politique, en posant au jour le jour les bases de nouveaux systèmes résilients, adaptatifs, désirables, sobres en ressources et en énergie, et dignes : un foisonnement d’autres manières de vivre ancrées dans les territoires. Au niveau politique et diplomatique, c’est verrouillé. Ne pas oublier que les COP se jouent dans une arène dont les règles sont fixées par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, texte où l’on peut lire (article 3, alinéa 5) l’impératif de croissance et la primauté du commerce international. En somme : pour résoudre la « crise climatique », il faut investir massivement dans des innovations et cela requiert de la croissance, ma bonne dame.
Ce paradigme de pensée est démontré faux par l’expérience du monde réel. Il a beau dominer les politiques publiques et la pensée politique, il est invraisemblablement farfelu. Primo, il part du principe, inepte, qu’une croissance infinie dans un monde fini est un but atteignable ; secundo, il consiste à miser l’avenir du monde sur une notion que l’expérience, jusqu’ici, à toujours invalidée : celle du « découplage » (l’idée selon laquelle la quantité de biens et services produits peut croître et l’empreinte écologique diminuer). Tout cela participe d’une mystique délirante qui choisit d’ignorer le réel : en effet, il est facile de constater qu’en dépit des efforts consentis pour une transition énergétique au niveau international, les émissions climato-détraquantes ne cessent d’augmenter. Les grandes conférences onusiennes resteront une fausse piste tant qu’elles consisteront à tenter de résoudre un problème sans gêner le système qui le génère (ce dernier objectif étant le seul à être respecté, notons-le au passage).
Avec le numérique, le télétravail, l'électromobilité, le véganisme, les cryptoactifs (quand ils seront devenus 100 fois moins énergivores et libèreront en partie l'économie des banques centrales), l'IA, les robots, une nouvelle forme de télé-éducation, une nouvelle culture de l'écologie, la lutte contre les gaspillages habituels etc on peut diminuer le besoin d'énergie et de matière habituellement gaspillée.
Tout en maintenant une "autre croissance" non couplée à l'utilisation intense d'énergie et de matière. Pour cela, il faut évidemment ne pas transformer en "consommateurs occidentaux" des centaines de milliers d'habitants de pays en développement, en les faisant immigrer en France ou en Occident... (Voire des millions ou des milliards). La paix serait également une bonne chose pour ne pas gaspiller d'énergie et de matière tout en se focalisant sur l'optimisation technologique pacifique.
On cherche en rond des « solutions » (politiques, réglementaires, normatives, économiques, technologiques...) au « problème » du dérèglement climatique alors que le dérèglement climatique, en réalité, n’est pas un problème. C’est un symptôme. La conséquence d’une malfaçon largement plus fondamentale à laquelle les élites et les médias ne s’intéressent pas.
La cause primaire réside dans la manière dont notre civilisation elle-même est conçue. On peut la modéliser sous la forme d’un flux : en amont des ressources qu’on extrait ou exploite ; au milieu les sociétés, où les gens vivent et consomment en utilisant de l’énergie ainsi que des ressources ayant été transformées grâce à de l’énergie ; en aval des pollutions solides, liquides et gazeuses (dont les gaz à effet de serre). Ce flux est linéaire et n’en déplaise à ses promoteurs, « l’économie circulaire » ne permet de circulariser que quelques processus bien spécifiques de certaines filières d’activité – jamais la civilisation tout entière ne sera cyclique.
Remplacer les sources d’énergie émissives par d’autres moins émissives est impératif, tout comme supprimer les mésusages et les pertes notamment thermiques, réinterroger nos besoins et revoir nos consommations énergétiques et matérielles à la baisse. Il est vital d’organiser tout ça. Mais il faut aussi comprendre que cela ne rendra pas viable la civilisation, cette grande machinerie d’exploitation de la nature qui a atteint son seuil de contre-productivité. De l’énergie, même décarbonée, au service de cette civilisation, c’est une perpétuation du flux qui mue les ressources en pollutions et rend la Terre inhospitalière pour une toujours plus grande proportion du vivant.
La transition énergétique ne peut être qu’une des composantes d’une palette de stratégies nettement plus large, systémique, qui s’attaque aux causes primaires plutôt qu’à leurs conséquences. Sinon, le chemin sera différent mais la destination restera la même : un déclin généralisé, et probablement une série d’effondrements sociétaux plus ou moins abrupts.
L’horloge sonne l’heure de la réinvention. À nous de déployer nos plus belles créativités, de proposer des imaginaires inspirants pour que chacun réalise que loin d’être en compétition, lutte sociale et lutte écologique se renforcent.
Nulle société possible dans un monde en effondrement écologique ; nulle stabilité durable possible dans un monde où l’homme se comporte en maître et possesseur, sans limite, de tout ce qui vit à ses côtés ; nul bien-être ou bonheur possible dans un univers de dissonances cognitives. Travaillons ensemble pour poser les bases d’une société respectueuse de l’altérité sachant s’autolimiter de façon lucide et humble, solidaire et digne.
Un sursaut.